Le
casernement des professeurs.
octobre
2024
Le casernement des professeurs, que le SIES dénonce régulièrement dans ses publications et ses professions de foi, prend diverses formes qui coïncident malheureusement souvent : emploi du temps « à trous » ; service d’enseignement réparti sur quatre ou cinq jours ; accumulation de réunions stériles ; autoritarisme de certains chefs d’établissement ou inspecteurs ; infantilisation des professeurs. Cela préside à la dévalorisation morale des professeurs. Les emplois du temps exécrables ont de graves conséquences pour l’ensemble des professeurs, particulièrement pour ceux qui sont confrontés à des difficultés de santé, qui ont un service partagé entre plusieurs établissements, qui ont la charge d’un membre de leur famille malade et/ou qui ont choisi d’exercer à temps partiel. Rappelons qu’il y a seulement deux ou trois décennies, la norme était un service d’enseignement réparti sur deux jours et demi à trois jours et demi, selon que le professeur appartienne au corps des professeurs agrégés ou à un autre corps (professeurs certifiés, EPS, PLP). L’emploi du temps ne comportait que rarement des « trous » et, lorsque c’était le cas, leur nombre était limité.
La dégradation de l’emploi du temps des professeurs est une conséquence de l’idéologie pédagogiste et d’une succession de réformes ineptes. Elle résulte également d’une volonté de l’institution et de certains chefs d’établissement au nom de la « communauté éducative » et du « corps unique de la maternelle à l’université », concepts que le SIES a toujours dénoncés et auxquels il s’est toujours opposé. Pour tenter de culpabiliser les professeurs, il a toujours été de bon ton d’opposer l’intérêt de l’élève (ou son intérêt prétendu) à celui du professeur. La dégradation progressive des conditions de travail des professeurs ne s’est accompagnée d’aucune amélioration des conditions d’apprentissage des élèves et du niveau scolaire, qui s’est, au contraire, dramatiquement effondré sous l’effet de l’abaissement régulier des exigences corollaire d’une massification imposée et mal pensée. Le casernement des professeurs accentue les facteurs de risques psychosociaux déjà extrêmement présents (intensité et temps de travail, exigences émotionnelles, manque d’autonomie, rapports sociaux au travail dégradés, conflits de valeurs, insécurité de la situation de travail). La tendance à attribuer au professeur un service le contraignant à se présenter chaque jour de la semaine dans son établissement, à patienter de longues heures entre deux heures de cours, s’est, initialement, développée essentiellement dans les établissements relevant de l’éducation prioritaire, connus comme étant les laboratoires de toutes les dérèglementations statutaires. Cette tendance s’est progressivement généralisée au fil des ans à un nombre croissant d’établissements et de professeurs, y compris ceux exerçant à temps partiel et ceux qui sont confrontés à des difficultés de santé. Elle semble avoir atteint son paroxysme. Rares sont aujourd’hui les professeurs épargnés. Les personnels de direction sont de plus en plus nombreux à abuser de leurs prérogatives. Erigée en principe par de nombreux chefs d’établissement, l'habitude qui impose que les professeurs doivent disposer, au maximum, d’une demi-journée sans heures de cours dans la semaine, est devenue la règle. Cette demi-journée de « liberté » est souvent présentée comme une faveur, voire un luxe. Certains personnels de direction l’indiquent explicitement sur la fiche de vœux distribuée aux professeurs. On peut d’ailleurs s’interroger sur l’utilité de cette fiche, puisque les demandes des professeurs ne sont désormais que très rarement respectées. Les professeurs en service partagé entre plusieurs établissements subissent de plein fouet les conséquences de ce nouveau dogme. Les professeurs qui sont confrontés à des difficultés de santé et pour lesquels le médecin de prévention du rectorat a rédigé, à l’attention du chef d’établissement, une préconisation d’adaptation des horaires journaliers aux besoins de l’état de santé sont souvent aussi maltraités que les autres. Ces préconisations médicales ne sont parfois même pas respectées. Il n’est pas rare d’observer l’emploi du temps de professeurs exerçant à mi-temps dont le service (7 heures 30 minutes pour un professeur agrégé, 9 heures pour un professeur certifié) est réparti sur la totalité des jours de la semaine. L’avantage du temps partiel est alors quasiment réduit à néant tandis que les inconvénients sont importants (diminution du traitement et préjudice pour le montant de la pension civile), Dans ces conditions, il convient de s’interroger sur la pertinence de formuler une demande d’exercice à temps partiel *. L’accumulation
de réunions sans grand intérêt, durant lesquelles
on parle de tout sauf des vrais problèmes,
planifiées durant les « trous », la
pause méridienne ou en fin de journée, à
l’initiative du chef d’établissement, de
l’inspection pédagogique, mais aussi parfois de
certains collègues, accable les professeurs. Les
convocations à des formations en dehors du temps
de travail contribuent également à l’épuisement
professionnel.
Les
réformes des dernières décennies ont toutes
contribué à la dégradation du service des
professeurs. La dernière en date n’échappe pas à
la règle.
Les réformes ne sont cependant pas la seule cause du casernement des professeurs.
Les services et emplois du temps calamiteux attribués aux professeurs sont-ils le fruit de l’incompétence de celui qui les conçoit ? Cette explication peut parfois s’appliquer à certaines conjonctures particulières, mais est loin de constituer une généralité. Les outils informatiques permettant de réaliser les emplois du temps sont bien plus performants qu’il y a vingt ou trente ans. Paradoxalement, les emplois du temps réalisés « à la main » il y a quelques décennies étaient indubitablement bien mieux conçus. Les contraintes et injonctions pédagogiques institutionnelles d’alors sont certes incomparables avec les contraintes actuelles. Le niveau des élèves était très largement supérieur au niveau actuel, ce qui démontre, si cela était encore nécessaire, qu'il y a un lien de causalité évident entre l'accumulation d'injonctions pédagogiques inspirées du pédagogisme et la chute du niveau scolaire.
Le
SIES dénonce une volonté institutionnelle et
idéologique de caserner les professeurs.
L’objectif poursuivi par les pouvoirs publics est
que le professeur ne soit plus directement au
service de sa mission (l’instruction) avec pour
seule contrainte le respect des programmes, mais
doive se contenter de mettre en œuvre les
directives de son « supérieur ». Pour y
parvenir et aliéner le professeur,
l'administration procède progressivement à la suppression
du maximum de degrés de liberté et à une surveillance
maximale, elle aussi.
Lénine disait « Faites leur manger le mot et ils avaleront la chose ». Les mots ont un sens. Comprendre ce qui se cache derrière la « communauté éducative » et les autres termes en vogue de la novlangue pédagogiste utilisés quotidiennement dans les communications institutionnelles ou syndicales est fondamental pour ne plus les utiliser et informer les collègues qui les utilisent. Il faut dénoncer le pédagogisme qui gangrène l’Éducation nationale sous toutes ses formes.
Oser avoir une vision parfois iconoclaste et remettre en question certains tabous de notre profession constituerait également un moyen de revenir au bon sens et d’améliorer nos conditions de travail. La dégradation de l’emploi du temps des professeurs et des élèves résulte en effet également de dogmes pédagogiques qui se sont imposés ces dernières années bien qu’ils ne soient fondés sur aucune réalité scientifique. Par exemple, le principe selon lequel un collégien ne peut pas avoir deux heures consécutives d'enseignement de la même discipline, car cela ne serait pas pédagogique ou lui serait insupportable, doit être contesté. Des générations d’élèves ont suivi l’enseignement de la même discipline deux heures d’affilée sans que cela nuise à leurs apprentissages. Autres exemples, le refus de regrouper dans la même classe les élèves latinistes (ou les élèves suivant l’enseignement d’une langue régionale) et le refus de regrouper dans la même classe les élèves suivant le même enseignement de LV1 ou de LV2 (allemand, italien ou espagnol). Des cohortes d’élèves ont connu une scolarité durant laquelle les classes étaient constituées en fonction des options suivies et des langues vivantes choisies sans que cela ne traumatise personne. Cela évitait l’émiettement du service du professeur sur la totalité des jours de la semaine.
A
l’heure où le ministère de l’Éducation nationale
et les différents niveaux de notre hiérarchie
malmènent les professeurs et accordent peu
d’importance à leur santé en général et à leur
santé psychique en particulier, le SIES rappelle
qu’un professeur bénéficiant de bonnes conditions
de travail est plus performant pour dispenser un
enseignement de qualité à ses élèves. Jean-Baptiste VERNEUIL - Président du SIES
* à l’exception du temps partiel thérapeutique (maintien du traitement à 100 % et sans conséquence sur le montant de la pension civile).
Consultez les autres communiqués et les revendications du SIES.
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